Most Viewed

Categories



Header Ad

Guinée : 4 mois après le putsch, les soutiens d’Alpha Condé restent mobilisés… pour lui succéder

Alpha Condé a été déchu en septembre dernier.
Photo by CELLOU BINANI / AFP

Alors que le premier ministre Mohamed Béavogui a enfin proposé une feuille de route de transition au chef putschiste, le colonel Mamadi Doumbouya, le Président déchu Alpha Condé est toujours détenu par la junte au pouvoir. Ses plus fidèles partisans se mobilisent pour sa libération… mais surtout sa succession.

En Guinée, près de quatre mois après le coup d’État du 5 septembre, les affiches à l’effigie du président déchu Alpha Condé ont largement été détrônées par les portraits du colonel putschiste Mamady Doumbouya, autoproclamé président de la transition. Dans la capitale Conakry, seul le siège de son parti, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée), arbore encore des vestiges iconographiques de l’ex-Président, toujours détenu au secret par la junte désormais au pouvoir. Dans la cour défraîchie du parti, les slogans à la gloire d’un président « bâtisseur » resté onze ans à la tête de l’État ne manquent pas, tandis que de nombreux écriteaux appellent à la libération d’Alpha Condé.

OBJECTIF LIBÉRATION D’ALPHA CONDÉ

Ce jour-là, comme trois fois par semaine depuis début septembre, une réunion de crise doit se dérouler à partir de 14 heures. Un à un, les pontes du RPG, pour la plupart ministres déchus en même temps qu’Alpha Condé, franchissent le seuil du parti dans des véhicules imposants aux vitres teintées. « La libération d’Alpha Condé est notre objectif premier » nous lance bruyamment Alhoussein Makanera Kaké, ne tardant pas à rameuter une petite foule de militants. L’ancien ministre de la Communication a les codes, le charisme, pour attirer puis tenir en haleine une assemblée. Et d’ajouter sous de timides applaudissements : « Les militaires ne peuvent pas le garder indéfiniment ! ».

Jusqu’ici, la junte promet de « respecter les droits » de l’ancien président, mais aucune date n’a été donnée quant à une éventuelle libération. « Nous savons simplement qu’Alpha Condé se porte bien et qu’il est bien traité », indique Sékou Condé, secrétaire permanent du RPG. Avec d’autres cadres du parti, il a récemment formulé deux mémorandums auprès des putschistes afin de pouvoir a minima lui rendre visite et s’assurer de sa bonne santé physique et mentale. Des demandes jusqu’ici restées sans réponse. « Nous menons ces réunions de crise pour mobiliser toutes les personnes de bonne volonté qui pourraient aider à libérer le président, mais nous voulons que tout cela se fasse dans la paix, la sérénité et l’inclusion » ajoute Sékou Condé.

DIALOGUE AVEC LA JUNTE AU POUVOIR

« La paix », « la sérénité », « l’inclusion », « sans violence »… Les formules tournent en boucle, comme un mantra, sur les lèvres des dirigeants du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG). Autant d’appels au calme et à l’apaisement répétés qui, selon eux, contiennent les velléités de manifestation de nombreux militants. « Depuis le 5 septembre, nous n’avons pas organisé de meeting, nous n’avons pas organisé de défilés, ni de marches et nous n’entendons pas le faire. Nous préférons discuter avec la junte, nous avons toujours prôné la paix dans le pays », assure Lansana Komara, membre du bureau politique national du RPG et ancien ministre, qui semble toutefois occulter la répression féroce du gouvernement auquel il a appartenu, coûtant la vie à des dizaines de civils venus manifester contre le troisième mandat anticonstitutionnel d’Alpha Condé fin 2019.

Alpha Condé, figure de la Françafrique – et opposant historique en Guinée – est aussi aujourd’hui blâmé par la rue pour ne pas avoir su répondre aux aspirations des Guinéens, qui, pour une majorité d’entre eux n’ont pas d’eau courante, ni d’électricité et peu voire pas accès aux infrastructures publiques. Un paradoxe pour ce pays d’Afrique de l’Ouest, deuxième exportateur mondial de bauxite, qui pourrait être parmi les plus riches de la région.

LA FIN DE L’ÈRE CONDÉ…

Aussi, pour les hauts cadres du parti fondé et longtemps dirigé par Alpha Condé, l’heure est-elle à la circonspection. La libération d’Alpha Condé est importante, certes, mais ne pas être exclu de l’échiquier politique l’est tout autant sinon plus pour les caciques du RPG, prêts à continuer la politique, coûte que coûte, sans leur père fondateur. « Nous n’allons pas bouder la transition politique en cours, nous comptons même y participer, reprend Lansana Komara. L’inverse signifierait que l’on abandonne nos combats politiques ».

Le 22 novembre dernier, le RPG a ainsi obtenu quatre places, sur les quinze disponibles, pour siéger au Conseil national de la transition (CNT). Un organe créé par les militaires au pouvoir dont l’objectif est de cadrer la transition politique, notamment dans le temps. « Nous avons dit au Comité national du rassemblement pour le développement (comprenez la junte, NDLR) que nous n’avons rien contre eux. Ils ont voulu faire un coup d’État, il n’y a pas de problème, ils ont réussi », souligne calmement Lansana Komara.

Cette absence de condamnation ferme des auteurs du putsch est à l’image des premières déclarations du parti de l’ex-président, pour le moins ambiguës. Au moment du coup d’Etat, les responsables appelaient en effet au rétablissement d’un « ordre constitutionnel » sans pour autant demander le retour d’Alpha Condé au pouvoir. Des propos jugés inappropriés par une partie des partisans, mais qui semblent tout à fait audibles à une majorité qui préfère regarder vers les prochaines élections et peut être tourner la page de l’ère Condé. « Il y a plein de têtes éligibles à la présidence dans le parti. Vous en avez une devant vous » déclare l’ancien ministre qui s’empresse toutefois de rappeler les réussites de l’ancien président : Outre la construction d’hôtels, « il a aussi électrifié le pays, ajoute Lansana Komara, alors que même les habitants de la capitale Conakry peinent encore à avoir l’électricité 24 heures sur 24. Ceux qui disent le contraire ne sont pas lucides ». D’après la Banque mondiale, le taux d’électrification du pays est passé de 27 % en 2010 à 42 % en 2019.

DES ÉLECTIONS, MAIS QUAND ?

Côtés militants, certains pointent également l’âge avancé d’Alpha Condé (83 ans), « qui ne lui permettrait plus de gouverner la Guinée » alors qu’une majorité militait il y a deux ans à peine pour un troisième mandat via une modification de la Constitution. « S’il est fatigué, je ne suis pas sûr de vouloir qu’il soit de nouveau président », argue Sidibe Sibiki, militant du RPG depuis 30 ans.

D’autres semblent même avoir déjà avoir tourné la page Condé. « Le RPG est debout, serein et mobilisé », scande de son côté le secrétaire permanent Sékou Condé convaincu que le mouvement peut tenir sans Condé. La preuve ? « Pas une seule personne n’a rendu sa carte de militant jure-t-il le cahier des registres d’inscriptions sous le coude. Au contraire, les militants sont galvanisés et on reçoit encore des adhésions ». Partout dans le pays, des représentants du RPG sont missionnés pour tenter de relancer les activités comme au temps d’une campagne électorale. « Il est nécessaire de remobiliser les troupes en vue des prochaines élections », confie Sidibe Sibiki, aussi membre du bureau de la commission technique électorale nationale.

Quand auront-elles lieu ? La feuille de route proposée ce week-end par la junte ne le précise pas. Début novembre, pourtant, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) avait de nouveau sommé la junte au pouvoir en Guinée d’organiser des élections présidentielles dans un délai maximum de six mois. Un flou entretenu par les putschistes qui devrait aujourd’hui inquiéter les leaders du RPG bien plus que la succession de leur chef.

Par Célia Cuordifede/Marianne.net

Header Ad


Forgot Password