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Dialogue politique, gouvernement d’union nationale, réconciliation… Ce que la Nation attend du président Alpha Condé

Les guinéens sont malheureux. Depuis l’accession à l’indépendance de leur pays, ils sont dans la souffrance. Le sang, les larmes et la misère ont été leur lot dans tous les régimes qu’ils se sont donnés. L’élite naissante a ainsi été décimée tout au long de la première République. Le pogrom de 1985 s’est installé avec douleur dans la mémoire collective comme les violences ineffables lors de la manifestation du 28 Septembre 2009. Depuis 2010, des exactions de tous ordres sont en cours et leur brutalité ainsi que leur coût en vies humaines ont choqué jusqu’au dehors des frontières du pays.

Ces excès d’autorité qui sont intolérables en eux -mêmes sont d’autant insoutenables qu’ils ne se sont guère accompagnés d’une amélioration des conditions de vie des populations. Plus de 55% de la population vivent encore en-dessous du seuil de pauvreté. La Guinée, malgré toutes ses potentialités naturelles, est parmi les 15 pays les plus pauvres du monde. C’est ce qui ressort du dernier rapport du Pnud qui la classe, pour son Indice de développement humain, au 174ème rang sur les 189 pays du monde.

Le mal vivre des guinéens est aussi exacerbé par les tensions entre les ethnies, effets des disputes politiques. L’exemple le plus symptomatique de ces tensions est celui de l’eau empoisonnée en 2010. A l’élection présidentielle qui s’est tenue à cette date, le candidat Alpha Condé avait réalisé un score médiocre au premier tour face à Cellou Dalein Diallo qui caracolait en tête. Pour lui permettre de refaire son retard et gagner, il fallait unir les autres ethnies contre les peuls en les accusant de vendre de l’eau empoisonnée. Ce grossier mensonge a réussi à duper les guinéens mais au prix d’exactions meurtrières entre les communautés. Ces violences et celles qui ont suivi, ciblées et impunies, ont provoqué une profonde incohésion sociale dans le pays.

Le peuple de Guinée est ainsi dans une grande amertume. Ses rêves ont toujours été brisés par son élite politique qui a constamment renié ses promesses. Tous les grands rendez-vous de sa jeune histoire, en 1958 comme en 1984 ou en 2010, n’ont accouché que des calamités sur fond d’un tissu social qui n’a cessé de se fragiliser. Sa déception face à ses conditions existentielles est si grande qu’il est partagé entre la résignation et les explosions de désespoir.

Mais, le peuple de Guinée ne doit pas se décourager. Il doit prendre l’exemple des pays qui, en situation périlleuse, ont refusé de céder aux forces de l’abandon en trouvant la voie de leur salut dans le rassemblement. Le cas le plus mythique est l’Allemagne. Au sortir de la deuxième guerre qu’elle avait perdue, et face aux destructions subies, ses forces vives à tous les niveaux (partis politiques, syndicats, banques, industries) ont mis en avant la nation alors en souffrance, pour taire leurs dissensions politiques, sociales et économiques et décider de travailler ensemble en vue de remettre le pays debout. La réussite de cette démarche, et dans un temps record, a été si brillante que l’on a parlé de miracle allemand. Et depuis, chaque fois qu’il y a une crise, les deux grandes familles politiques (les démocrates- chrétiens et les sociaux- démocrates) se retrouvent dans un gouvernement d’union, le temps de réparer leur pays.

L’épidémie à virus Ebola survenue en Guinée en fin 2013 aurait pu être l’occasion de sursaut des guinéens comme la défaite de 1945 le fut pour les allemands. S’unir pour faire face à cette maladie à létalité élevée et, par ce dépassement, identifier et panser les plaies qui rongent le socle des forces d’avenir du pays. Malheureusement, le gouvernement est resté dans la voie autoritaire et les guinéens dans leurs divisions. Il faut se rappeler que le contexte politique était tendu en raison de la validité contestée des élections de 2010 et de 2013 et des conditions d’organisation de la présidentielle de 2015. Pour une part importante de la population, le pouvoir était illégitime et les mesures préconisées contre le virus jugées suspectes. L’absence de consensus dans le pays a fini par installer dans la conscience collective que le virus Ebola apportait « aux uns le pouvoir et la richesse et aux autres le malheur et la mort ».

En fait, c’est Alpha Condé qui n’a pas eu la vision sage et ambitieuse de considérer la crise Ebola comme une opportunité à saisir pour réconcilier les guinéens. Il n’a pas pris l’initiative salutaire de la mise à plat de tous les problèmes auxquels le pays était confronté pour permettre à celui-ci de retrouver le calme nécessaire à son développement. C’est ainsi que la Guinée a repris, dès la fin de la crise Ebola, son état d’ébullition avec ses coutumières violences meurtrières lors des revendications politiques autour des élections électorales comme en 2015 et 2018.

A partir de 2019, le débat sur le référendum pour une nouvelle constitution autorisant un troisième mandat à Alpha Condé a aiguisé les crispations et renforcé les clivages de la société guinéenne. Les manifestations hostiles à ce référendum, organisées par le Front National pour la Défense de la Constitution (collectif de partis politiques et de la société civile) qui défend l’alternance démocratique, seront réprimées par le pouvoir et ses forces sécuritaires, avec une violence ensanglantée. Le bilan de ces manifestations, au lendemain du double scrutin du 22 mars dernier, est lourd : des centaines de morts par balles ou brûlés vifs, des blessés handicapés à vie, des destructions massives de biens.

Ce tableau macabre ne noircit pas seulement les résultats des scrutins du 22 mars. Il marque aussi le malheur d’un pays qui a une nouvelle constitution contestée dans son essence et une Assemblée de députés qui n’est pas le miroir de la nation. Le manque de légitimité d’Institutions de la République aussi majeures est mal accepté dans le pays y compris dans le camp qui soutient Alpha Condé. Ce malaise citoyen s’alourdit des autres malaises dû à la récurrente crise politique, à la dégradation des conditions de vie et à l’insécurité liée notamment aux tensions ethniques. Les guinéens en ressentent une grande douleur. Ils le crient sourdement. Comme une alarme à la nation.

Leurs cris sont encore plus chargés de désespoir depuis que cette terrible pandémie de covid 19 s’est ajoutée aux malheurs du pays. En effet, le nombre de contaminés qui est le plus élevé en Afrique de l’ouest (rapporté à la population) et la vitesse de propagation de la maladie sont une source de grande préoccupation pour les guinéens. Comme les conséquences économiques qui accompagnent la pandémie. Cette situation fait craindre une amplification des tensions et le pays qui est déjà dans une grande fragilité ne pourra pas résister aux forces qui menacent sa stabilité.

C’est pourquoi, la covid 19 doit être, pour les guinéens, l’occasion à saisir pour rechercher le salut de la nation. La voie du rassemblement est le chemin à prendre. L’appel à cet effet ne doit pas être dans l’incantation pieuse, dans la rhétorique politicienne. Il ne s’agit donc pas d’utiliser la crise sanitaire à des fins politiques : au nom du combat contre la pandémie, affaiblir l’état de droit. Il s’agit de reconnaître que le pays est en crise, c’est-à-dire dans la confusion qui occasionne des actes de défiance des citoyens face aux violences d’Etat. Comme en témoignent la contestation de l’impartialité de l’Etat et la mise en cause de son autorité par une partie de la population qui se méfie de ses initiatives ou des mesures qu’il préconise, notamment au plan sanitaire, et refuse d’y adhérer. Sortir de cette situation de désordre et obtenir un consensus propice à la paix sociale tel est le défi que doit porter l’appel à l’union sacrée.

La paix, selon Houphouet Boigny, n’est pas un mot mais un comportement. Son socle c’est la confiance. C’est pourquoi, l’appel à l’union sacrée du Président Alpha Condé, pour être entendu, doit être construit sur la confiance. Cet effort exige de la lucidité et du courage. Il doit donc montrer sa volonté d’apaiser la sphère politique en appelant au dialogue mais uniquement ceux qui portent une vraie légitimité par la représentativité de leur parti dans le pays, tant dans son camp que dans celui de son opposition. Et accepter comme témoins les partenaires techniques et financiers dont le regard découragera les attitudes perverses ou vicieuses et obligera la bonne foi autour de la table du dialogue.

Les plaies dont souffre la nation sont nombreuses. Le Président Alpha Condé, garant de la stabilité de la Guinée, connait celles qui sont au cœur des tensions. Il lui appartient d’établir un diagnostic consensuel de l’état du pays. Un tel diagnostic permettrait d’accomplir un grand pas sur le chemin de l’apaisement politique. Il faut aussi qu’il impulse le dialogue entre les partis politiques porteurs de légitimité pour une thérapeutique de compromis. En cohérence de ce qui précède et pour conforter dans l’opinion sa volonté de refonder la cohésion du pays, Alpha Condé doit mettre en place un gouvernement d’union nationale composée non pas d’individualités débauchées des partis mais de représentants des partis politiques prenant part au dialogue. La mission de ce gouvernement étant le suivi de la mise en œuvre, dans un temps convenu, des solutions consensuelles qui doivent permettre au pays de sortir des crises qui l’ébranlent.

Mugabé et Mandela ont été tous les deux des combattants de la liberté. Dans l’exercice du pouvoir, Mugabé a choisi l’autoritarisme, la confrontation et l’ostracisme : il a détruit son pays et abîmé son image. Mandela a préféré le rassemblement, l’ouverture et la tolérance : il a laissé en héritage un pays sur le chemin de l’harmonie et sa mémoire est honorée dans le monde entier. Le temps est venu pour le Président Alpha Condé d’entendre l’appel de la nation qui veut se réconcilier avec elle-même. Il en détient les clés. Comme il ne dépend que de lui pour retrouver dans la mémoire des guinéens la place que lui vaut son combat pour la démocratie dans son pays.

Alseny Kolente Bangoura

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