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La Chine profite de la lutte contre la pandémie en Afrique pour promouvoir ses entreprises

La pandémie est une aubaine pour les acteurs économiques chinois qui font de nombreux dons de matériels aux pays africains, à grand renfort de communication.

La banderole est rouge, forcément. Un groupe de jeunes Chinois, masque sur le visage, la tient avec délicatesse du bout des doigts. « CRCC fait don de respirateurs à l’Algérie », clame la bannière tendue dans le hall du siège, à Pékin, de China Railway Construction Corporation, fleuron de l’Etat chinois dans les infrastructures de transports. Un diplomate algérien est là, ce 1er avril, pour réceptionner les colis d’équipement.

La scène, généreusement photographiée, va s’afficher quelques heures plus tard sur la page Facebook de l’ambassade de Chine en Algérie. Les commentaires des internautes algériens sont partagés face au spectacle de cette sollicitude lourdement médiatisée de Pékin en ces temps d’adversité épidémique. Beaucoup versent dans la reconnaissance émue : « Un grand merci à nos amis chinois », « Un exemple de solidarité dans les moments difficiles ».

Mais se glissent aussi des remarques légèrement plus sceptiques : « Pourquoi l’aide de la Chine est-elle liée à ses entreprises ? Juste une question ».

Le détail n’a en effet échappé à personne. Les cérémonies de dons de matériel médical (masques, respirateurs, combinaisons, kits de tests…) aux pays africains touchés par le Covid-19 ne célèbrent pas seulement l’amitié entre les peuples. Elles promeuvent aussi des marques d’entreprises, ces généreuses bienfaitrices – celles qui signent vraiment les chèques – associées aux ambassades chinoises dans la pompe officielle.

Consulter les pages Facebook des représentations en Afrique de Pékin mettant en scène la générosité de l’Empire du milieu donne parfois l’étrange sentiment de feuilleter un trombinoscope de « China Inc. ». En Algérie, les banderoles à la gloire de CRCC – principal prestataire de service de l’autoroute Est-Ouest de 1 200 km – cohabitent avec d’autres calicots louant la China State Construction Engineering Corporation (CSCEC) – le géant des BTP chargé de la rénovation de l’aéroport Houari-Boumédiène et de la Grande Mosquée à Alger – ou d’autres entités de moindre importance, telle la société de biotechnologie Sinocare.

Un peu plus au sud, au Mali, l’opinion publique n’ignorera rien des lits médicalisés donnés par la société de BTP China Overseas Engineering Corporation (COVEC) ou du gel hydroalcoolique offert par les sociétés sucrières sino-maliennes Sukala et N-Sukala. Et en Afrique du Sud, les cérémonies de dons arborent les logos de Bank of China, One Gold Group (mines), Longyuan Mulilo Wind Project (énergie éolienne), Hisense (électroménager) et bien sûr de l’incontournable Huawei, le géant des télécoms aux vastes ambitions sur la 5G.

Partout ailleurs en Afrique, les mêmes scènes se reproduisent, celle d’une Chine orchestrant sa générosité d’Etat en partenariat avec ses entreprises, tandem inséparable.

Impressionnant pont aérien

Les gros tambours de cette communication de Pékin avaient commencé à résonner dès le 20 mars avec l’entrée en scène du milliardaire philanthrope Jack Ma, fondateur du géant chinois de la vente en ligne Alibaba, classé vingtième fortune mondiale, qui avait financé les premières donations débarquées à l’aéroport d’Addis-Abeba avant d’être redistribuées à travers le continent à la faveur d’un impressionnant pont aérien d’Ethiopian Airlines.

La double estampille Jack Ma Foundation et Alibaba Foundation, deux organisations caritatives créées par le tycoon chinois sur le modèle des fondations privées occidentales, avait signé une méthode rapidement imitée par d’autres opérateurs chinois.

Cette offensive de « soft power » déployée par Pékin au service de ses intérêts étatiques et commerciaux s’inscrit dans le contexte d’un enracinement en Afrique qui a déjà bouleversé les lignes de force stratégiques sur le continent. De 2013 à 2018, l’essor de cette « Chinafrique » a vu un commerce bilatéral multiplié par onze, atteignant 185 milliards de dollars (170 milliards d’euros), et des flux annuels d’investissements chinois multipliés par sept (5,4 milliards de dollars en 2018). En stock cumulé, la Chine se hisse au quatrième rang des investisseurs en Afrique, talonnant le Royaume-Uni derrière les Etats-Unis et la France, laquelle conserve sa première position.

Selon un rapport du cabinet Mc Kinsey datant de 2017, le continent hébergerait ainsi dix mille entreprises chinoises, dont 90 % sont privées. L’économiste sinologue Thierry Pairault, directeur de recherche émérite (CNRS/EHESS), conteste cette évaluation. « On mélange tout pour faire un gros chiffre », met-il en garde. Selon lui, le nombre réel d’entreprises « enregistrées en Chine » et opérant en Afrique serait plutôt de « 3 000 à 4 000 », le reste – entre 6 000 et 7 000 – étant de « petites entreprises locales à la tête desquelles vous trouverez un ressortissant chinois ».

Quoi qu’il en soit, cette présence économique prospère et, avec elle, les pratiques proprement chinoises, cette guerre des images qui saute désormais aux yeux avec la mobilisation autour du Covid-19. « La mise en scène est inscrite dans les gènes des entreprises chinoises, souligne Thierry Pairault. Dès qu’elles lèvent le petit doigt, il y a une grande cérémonie avec banderoles rouges. Cela frappe parce que les entreprises françaises ou américaines, en face, ne le font pas. »

Aussi l’universitaire spécialiste de la Chine invite à bien distinguer les logiques politiques et économiques à l’œuvre dans cette communication. « Il s’agit de stratégies d’entreprises avant d’être des stratégies diplomatiques, relève-t-il. Il faut séparer les deux. Jack Ma par exemple est un électron libre, il n’est pas missionné par Pékin, il s’est missionné lui-même. Il sert d’abord les intérêts de sa fondation et des start-up africaines qu’il finance. Mais bien sûr, cela sert indirectement Pékin, qui va pouvoir proclamer : Regardez ce que la Chine donne”. »

Redorer son blason

Les initiatives d’entreprise ont beau conserver leur part d’autonomie, l’ambassadeur de Chine n’est en effet jamais très loin pour en faire rejaillir le crédit sur l’image du pays. « Les entreprises chinoises ne sont pas autorisées à organiser des cérémonies de donations sans l’implication de leur ambassade, croit savoir un diplomate européen dans un pays d’Afrique de l’Ouest. L’Etat chinois récupère très bien la mise alors qu’il ne s’agit pas de dons publics. »

Pour bien des sociétés chinoises, la crise du Covid-19 a été une aubaine permettant de restaurer leur image pas toujours reluisante. Car si les Africains accueillent globalement avec faveur les projets chinois, qui desserrent l’étau des relations historiques avec les anciens tuteurs européens, les contentieux se sont multipliés ces dernières années en raison des pratiques souvent sulfureuses des entrepreneurs chinois. En Algérie, le Hirak, ce mouvement de protestation qui a ébranlé en 2019 le régime, s’est nourri d’un ras-le-bol des malversations financières des élites à laquelle les entreprises chinoises impliquées dans les grands marchés publics d’infrastructures étaient de facto associées.

« Les entreprises chinoises ont saisi l’occasion du Covid-19 pour essayer de redorer leur blason terni par les scandales, pointe Hicham Rouibah, doctorant en socio-économie à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), spécialisé sur le BTP chinois en Algérie. Cela a plutôt bien marché si l’on en juge par les réactions du public en général positives. Mais qu’en sera-t-il sur le long terme ? » Le scepticisme des internautes algériens s’exprimant à l’occasion sur la page Facebook de l’ambassade chinoise montre que le sens critique demeure en alerte.

LeMonde.fr/ Frédéric Bobin

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