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En Guinée, l’effet révélateur du coronavirus

Si le nombre de décès reste faible en Guinée, la progression rapide du nombre de cas inquiète, souligne les défaillances du système sanitaire, fragilise l’économie quotidienne et cristallise la défiance envers le gouvernement, quatre ans après la fin de l’épidémie d’Ebola.

De notre correspondant à Conakry,

Front contre front, les yeux lancent des éclairs. On s’empoigne, on s’invective le doigt pointé vers le ciel. On fait mine de s’éloigner avant de revenir à la charge, retenu par les copains. Parmi la cinquantaine de badauds venus mettre leur grain de sel dans ce banal accrochage, deux ont le visage couvert. Les autres portent leur masque au menton, sur le front ou suspendu à l’oreille.

Dix jours après l’entrée en vigueur du port obligatoire de la bavette pour lutter contre la propagation du coronavirus, la mesure est surtout respectée sur les axes contrôlés par la police.

Conakry enregistre officiellement sept décès de coronavirus. Un chiffre dérisoire comparé au paludisme (6 000 à 9 000 morts en 2017, estime l’OMS) mais le nombre de cas monte en flèche et la Guinée figure désormais dans le trio des, pays les plus touchés d’Afrique de l’ouest.

« C’est signe que nous testons les bonnes personnes », explique Bouna Yattassaye qui dirige l’Agence nationale de sécurité sanitaire (ANSS) depuis que le Dr Sakoba Keïta a été testé positif au Covid-19.

Épidémie sous-estimée

Mais la capacité journalière de 250 tests « ne permet pas d’identifier tous les cas », insiste dans son premier rapport le conseil scientifique. L’ampleur de l’épidémie pourrait être sous-estimée, de même que le nombre décès.

La population, très jeune (77% a moins de 35 ans, selon le PNUD), semble mieux protégée contre les complications, mais d’autres données suscitent l’inquiétude : plusieurs centaines de cas notés « à rechercher » par l’ANSS, des patients « perdus de vue », ni hospitalisés ni confinés, dans la nature.

« La hausse brutale du nombre de cas s’explique aussi par le refus de certains patients d’être pris en charge », poursuit le Dr Yattassaye. Ici, le virus est arrivé par l’élite, voyageuse et réticente à se faire soigner dans son pays. « Des personnes influentes et très sollicitées, ajoute-t-il. Leur chaîne de contamination affiche 82% de positivité. »

Donka, premier hôpital du pays, en rénovation depuis quatre ans, rouvre précipitamment pour accueillir les malades. Il faut creuser des forages pour l’alimenter en eau. Sa directrice Fathou Sikhé Camara est testée positive. Les patients se plaignent des conditions d’accueil et de l’insalubrité des locaux.

« Donka atteint sa capacité maximum », reconnaît le Dr Yattassaye, assurant que la Guinée va « doubler sa capacité en lits » avec l’ouverture de nouveaux centres dans les prochains jours.

Ebola, que reste-t-il ?

Au sortir de la crise Ebola (2 500 morts de 2013 à 2016), le président Alpha Condé avait déclaré que l’épidémie serait « une opportunité pour renforcer [les] capacités hospitalières », promettant la construction d’hôpitaux dans toutes les préfectures. « Une utopie » lance, amer, l’opposant Cellou Dalein Diallo.

« Ebola nous a surtout enseigné à détourner des fonds internationaux », soupire un acteur associatif, sous couvert d’anonymat. « ll ne reste rien des millions déversés sur le pays. » Beaucoup craignent que le « Corona business » succède à « l’Ebola business » alors que la Banque mondiale pointe une « surestimation » de 40 millions de dollars sur la facture d’électricité du plan de relance économique.

Les ONG déplorent le « manque de coordination », des « luttes de pouvoir et des rivalités personnelles » qui ralentiraient la riposte. « La gestion des fonds suscite une guerre entre le ministère de la Santé et l’ANSS », explique un haut cadre du ministère, sous couvert d’anonymat.

Plus optimiste, le Dr Yattassaye dit « capitaliser sur l’expérience acquise », les ONG déjà présentes (MSF, ALIMA) et surtout les centres de traitements des maladies infectieuses à potentiel épidémique (CTPI) de l’intérieur du pays installés au temps d’Ebola. Ces derniers, laissés à l’abandon, sont aujourd’hui en cours de réactivation.

Propagation dans l’intérieur

Les acteurs de la riposte craignent que la maladie suive la trajectoire inverse du virus Ebola en se propageant de la capitale vers les régions les plus reculées qui sont aussi les moins équipées. « C’est probablement déjà le cas », s’inquiète l’un d’eux, soulignant qu’un seul laboratoire réalise actuellement des tests en région.

Malgré les barrages, l’interdiction de quitter Conakry n’est pas respectée, reconnaît le gouvernement dans un communiqué. Une femme testée positive à Conakry a été retrouvée dans la ville de Kankan, à plus de 600km de la capitale.

Quant au concept de distanciation sociale, « c’est presque étranger à notre culture où le contact est essentiel, où toutes les activités quotidiennes se font en commun dans des espaces réduits », explique le sociologue Alpha Amadou Bano Barry.

« Pour les gens, c’est une maladie “d’en haut”. Ils ont des priorités plus urgentes comme se nourrir au quotidien », ajoute-t-il. L’inflation, habituelle en période de ramadan, est démultipliée par les restrictions sanitaires. Depuis que le nombre de passagers est limité à trois par véhicule, le prix du transport a doublé. Les mesures d’aide annoncées par le gouvernement tardent à faire sentir leur effet.

Covid-19 et politique

Les acteurs de la riposte redoutent une « triple crise » sanitaire, économique et politique. L’opposition accuse directement le gouvernement d’avoir favorisé la propagation du virus en organisant le double scrutin législatif et référendaire du 22 mars 2020. Le président de la Commission électorale nationale indépendante Me Salif Kébé est décédé du coronavirus deux jours après la proclamation des résultats définitifs par la Cour constitutionnelle, suivi par le secrétaire général du gouvernement.

Depuis l’installation de la nouvelle Assemblée nationale en dépit de l’interdiction des rassemblements, le Front national de défense de la Constitution estime que la trêve sanitaire est rompue. Pour avoir appelé à reprendre les manifestations, l’un de ses membres, Oumar Sylla, est incarcéré à la maison centrale de Conakry qui compte un cas et plusieurs décès suspects. D’autres opposants auraient été transportés vers un camp militaire de Haute-Guinée.

Human Rights Watch pointe la responsabilité présumée des forces de sécurité dans des cas de pillages ou d’abus à la faveur du couvre-feu qui « exacerbent une méfiance déjà profonde envers les autorités, créant un obstacle supplémentaire à la lutte contre le Covid-19 ».

« Avec un tissu social fragilisé, notre crainte est que les mesures sanitaires se retournent contre nous », s’inquiète le Dr Yattassaye. Cette semaine lors d’une rencontre avec le corps médical, le président Alpha Condé, tapant une nouvelle fois du poing sur la table, a exigé que l’épidémie soit maîtrisée « avant la saison des pluies ». Or à l’horizon pointent déjà d’épais nuages.

RFI/ Carol Valade

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