Most Viewed

Categories



Header Ad

Guinée : les petits pas de côté de la diplomatie française

DÉCRYPTAGE. Une lettre d’Emmanuel Macron à Alpha Condé a douché les espoirs de ceux qui continuent de crier à l’illégitimité du troisième mandat du président guinéen.

« Rétropédalage », « revirement », « volte-face ». Sur les réseaux sociaux ou dans les médias guinéens, la lettre adressée par le président Emmanuel Macron le 30 novembre à Alpha Condé – dont la réélection à un troisième mandat reste contestée par ses opposants – a suscité quelques remous. « Je tiens à vous transmettre, ainsi qu’au peuple guinéen, mes vœux de succès », commence le locataire de l’Élysée. Il y est certes aussi question des « défis » que doit relever la Guinée, et notamment « après les violences, les divisions et les interrogations qui ont émaillé ces élections ». Mais le ton contraste, pour nombre d’éditorialistes et d’internautes, avec celui employé dix jours plus tôt dans un entretien accordé par le président français à Jeune Afrique.

Emmanuel Macron n’y mâchait pas ses mots. « Le président Condé a une carrière d’opposant qui aurait justifié qu’il organise de lui-même une bonne alternance. Et d’évidence, il a organisé un référendum et un changement de la Constitution uniquement pour pouvoir garder le pouvoir. C’est pour ça que je ne lui ai pas encore adressé de lettre de félicitations. Je pense que la situation est grave en Guinée, pour sa jeunesse, pour sa vitalité démocratique et pour son avancée », déclarait-il.

Le 25 novembre, dans les rues de Labé, capitale de la Moyenne-Guinée et fief du principal parti d’opposition (Union des forces démocratiques de Guinée, UFDG), on pouvait voir flotter des drapeaux français lors d’une manifestation appelant à la libération de responsables du parti arrêtés deux semaines plus tôt. « La France reconnaît la gravité de la situation en Guinée. Merci pour ce soutien à la démocratie », s’était quant à lui réjoui le président de l’UFDG, Cellou Dalein Diallo.

Emmanuel Macron « en phase » avec son appel au renouvellement

Le courrier officiel du 30 novembre est-il donc le signe d’une dérobade ? Pas pour l’Élysée. « C’est un courrier qui ne comporte pas le terme de félicitations, à la différence du courrier envoyé, par exemple, au président ivoirien Alassane Ouattara », souligne un conseiller. Un courrier daté du 11 novembre, dans lequel Emmanuel Macron donne du « Cher Alassane », et « avec toute mon amitié » au président ivoirien, au lieu du « Monsieur le président » et « À vous » pour ouvrir et clore celui adressé au président Condé. Outre la sémantique, le timing ne serait pas neutre non plus dans cet exercice diplomatique. « Le courrier à Alpha Condé a été adressé un mois et demi après le scrutin du 18 octobre », note-t-on à l’Élysée. Et trois semaines après la validation des résultats par la Cour constitutionnelle – contre huit jours dans le cas de la Côte d’Ivoire.

Quant au fond, « La tonalité du courrier est en phase avec ce que le président a pu déclarer à Jeune Afrique, assure ce conseiller de la présidence. Le chef de l’État s’est prononcé à diverses reprises en faveur du renouvellement générationnel. Il reste dans cette posture politique vis-à-vis de ses homologues. Le président Alpha Condé ne s’inscrit pas dans cette logique, mais ce n’est pas pour autant que nous allons cesser toute interaction avec la présidence et les autorités guinéennes ».

« Les autorités françaises considèrent qu’Alpha Condé a eu tort de se présenter une troisième fois à la présidentielle, et à son âge. C’est à leurs yeux un facteur d’instabilité. Mais étant donné que le système institutionnel guinéen est défaillant, avec des exactions de la police à l’issue de manifestations, des arrestations sans motifs légaux, qui ne sont d’ailleurs pas entièrement de la responsabilité du président Alpha Condé, les critiques de la France, dans ce contexte, pourraient être contre-productives et accroître les tensions. Du point de vue de la diplomatie française, tout ce qui peut contrer le risque de déstabilisation du pays va donc dans le bon sens. Et puis se fâcher avec Alpha Condé, couper les ponts, reviendrait à ne plus avoir les moyens de l’influencer », décrypte Nicolas Normand, auteur de l’ouvrage Le Grand Livre de l’Afrique (Éditions Eyrolles) et ancien ambassadeur de France au Mali. Reste que le président guinéen, réputé pour son entêtement aussi bien dans le monde des affaires que dans la sphère politique, s’est déjà montré sourd à toutes les voix qui ont cherché à le dissuader de mettre en place une nouvelle Constitution et de briguer un troisième mandat.

La mobilisation des élus

Les propos d’Emmanuel Macron dans Jeune Afrique auront donc, un temps, fait souffler un vent d’optimisme. En premier lieu pour les Guinéens éprouvés par l’isolement. Peu de voix se sont en effet élevées à travers le monde pour dénoncer la répression des Forces de défense et de sécurité – l’opposition déplore une cinquantaine de morts tués par balle durant les violences postélectorales – et les centaines d’arrestations ciblant des membres de partis politiques d’opposition ou du Front national de défense de la Constitution (FNDC).

Mais aussi, pour certains élus français. Dans un communiqué daté du 24 novembre, le sénateur Jean-Yves Leconte, président délégué pour la Guinée du groupe d’amitié sénatorial France-Afrique de l’Ouest, appelait à traduire ces propos du président français « dans les positions et les actes de la France et de l’Union européenne, pour inciter les responsables politiques guinéens à trouver par le dialogue une sortie de crise ouvrant la voie à une transition démocratique. »

Ce jour-là, l’élu, appartenant au groupe socialiste, recevait au Sénat des proches de Cherif Bah, vice-président de l’UFDG, et d’Ousmane Gaoual Diallo, coordinateur de la communication du parti. Avec Cellou Baldé, Abdoulaye Bah et Étienne Soropogui, ils font partie des responsables de partis ou de mouvement interpellés entre le 11 et le 13 novembre, alors que la victoire du président Condé avait été scellée par la Cour constitutionnelle le 7 novembre.

« C’est dans ces moments-là qu’on doit se montrer forts, et je trouve dommage qu’on tergiverse, estime Jean-Yves Leconte. En tant que sénateur d’opposition, je peux interpeller d’autres parlementaires, dire et répéter que la Guinée doit parvenir à donner confiance à son peuple, et que le seul avenir envisageable pour les jeunes Guinéens ne devrait pas se résumer à partir. Mais même si de nombreux élus ne sont pas dupes, et estiment que les résultats de la présidentielle guinéenne n’étaient pas sincères, cela reste de la diplomatie parlementaire, et cela ne remplace pas la diplomatie d’un État. »

« Il joue un rôle d’alerte et de plaidoyer qui demeure important », relève toutefois Ibrahim Sorel Keïta, président du Collectif pour la transition en Guinée (CTG), et également contacté par les familles des opposants. « On aimerait que tous les groupes parlementaires au Sénat et à l’Assemblée nationale puissent réagir » sur la situation en Guinée, ajoute-t-il. Jusque-là, le député MoDem Bruno Fuchs, le président du groupe La France insoumise à l’Assemblée nationale Jean-Luc Mélenchon, ou Sébastien Nadot (un ancien LREM qui a rejoint le groupe Écologie démocratie solidarité) se sont déjà exprimés sur le sujet. Autre option envisagée par Sorel Keïta, demander à l’Internationale socialiste de se désolidariser du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti d’Alpha Condé. Sur son site, le mouvement a salué la victoire de Roch Kaboré au Burkina Faso, mais n’a pas mentionné celle d’Alpha Condé en Guinée. Pas sûr que l’ancien militant anticolonialiste y soit très sensible.

Par Agnès Faivre/Lepoint

    Laisse Ton Commentaire

    Header Ad


    Forgot Password