Le docteur Ibrahima Socé-Fall, chargé des interventions d’urgence à l’Organisation mondiale de la santé, revient sur la situation particulière du contient.
Le docteur Ibrahima Socé-Fall est sous-directeur général chargé des interventions dans les situations d’urgence à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Médecin militaire, titulaire d’un doctorat en santé publique, ce Sénégalais a occupé le poste de directeur des situations d’urgence dans la région africaine de l’OMS et contribué à réformer les interventions.
Au moment où s’est ouverte, lundi 18 mai, la 73e Assemblée mondiale de la santé, instance suprême de l’agence des Nations unies, il évoque la mobilisation, dans le monde et en Afrique en particulier, contre le Covid-19.
Quatre mois après la déclaration de pandémie, où en est le Covid-19 ?
Ibrahima Socé-Fall Cette pandémie est toujours en phase d’expansion. Il y a une stabilisation dans l’ouest de l’Europe, mais la courbe est ascendante dans l’est de l’Europe ; en expansion en Asie du Sud-Est et en diminution dans la région Pacifique. Le nombre de malades est en hausse dans les Amériques, où les pays sont de plus en plus touchés et où les Etats-Unis constituent actuellement l’épicentre de la pandémie. Enfin, l’Afrique est de plus en plus atteinte. Le nombre de nouveaux cas et celui des décès continuent d’augmenter plus rapidement.
Nous voyons que certains des pays qui avaient mis en place un confinement commencent à le lever. Ils ont procédé à une analyse de risque, mais cela ne signifie pas qu’ils aient réellement maîtrisé la dynamique de l’épidémie, qu’ils soient capables de prendre en charge les cas additionnels et qu’ils aient les capacités de détection et de suivi des contacts.
Comment envisagez-vous les prochaines semaines et les prochains mois ?
Il est difficile de prédire ce qui passera, mais différents scénarios sont envisageables. Les trois principaux sont celui d’une fin d’épidémie classique qui régresse et disparaît ; celui d’une transmission qui persiste longtemps à un niveau bas ; et enfin l’éventualité de petites flambées épidémiques qui peuvent prendre de l’importance. Cela dépendra aussi de la capacité des pays à prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre la pandémie.
Avez-vous l’impression que les messages délivrés par l’OMS et son directeur général sur l’importance d’appliquer les mesures adaptées à la situation ont bien été entendus ?
Les messages ont été entendus. Avec beaucoup de retard dans beaucoup de pays. Les Etats les plus riches ont pensé être suffisamment bien armés pour affronter sans trop de dommages l’épidémie et ont considéré que le danger concernait surtout les pays les plus fragiles. Beaucoup ont été surpris et ont connu des difficultés pour affronter une épidémie de grande ampleur qui a touché toutes les villes, ce qui est rare dans les pays développés. Comme ces pays n’ont plus de système de santé communautaire, tout a reposé sur leur système hospitalier. Or, quand les malades arrivent à l’hôpital, c’est qu’il y a déjà eu une transmission importante dans la population.
Dès la déclaration d’une urgence de santé publique de portée internationale le 30 janvier, Tedros Adhanom Ghebreyesus a invité les pays à examiner leurs plans de réponse et à s’assurer de leurs moyens d’identifier, isoler et prendre en charge les malades et de prévenir la transmission. Mais il y a eu un décalage entre cette alerte et les réactions nationales. En septembre 2019, le rapport du Conseil mondial de suivi de la préparation [mis en place par l’OMS, l’Organisation mondiale de la santé animale et la Banque mondiale] indiquait déjà que le monde n’était pas prêt.
L’Afrique est-elle en mesure d’affronter cette pandémie ?
L’Afrique a eu le temps de voir la pandémie se répandre. Le continent connaît des alertes fréquentes et les pays écoutent attentivement les conseils prodigués par l’OMS. Car l’Afrique est confrontée à beaucoup d’épidémies. J’ai été directeur chargé des situations d’urgence dans la région Afrique de l’OMS pendant quatre ans.
Durant cette période, nous avons eu à gérer plus de 500 épidémies, la plupart non médiatisées, au cours desquelles il a fallu déployer une surveillance de l’apparition des cas et un suivi des contacts. Lors de la dernière épidémie d’Ebola en République démocratique du Congo (RDC), un suivi de plus de 250 000 contacts a été mis en place. L’Afrique a intégré la surveillance des décès et la recherche active de cas, mais les systèmes de santé et les capacités de prise en charge hospitalières de la plupart des pays du continent sont limitées.
La nécessité de détecter les cas de Covid-19 et de retracer leurs contacts se heurte aux capacités limitées en tests diagnostiques, notamment en Afrique. Comment résoudre ce problème ?
Il commence à y avoir des coopérations internationales. Les dirigeants des pays développés ont pris conscience qu’un pays seul ne peut régler le problème. Les pays qui disposent de capacités de pratiquer des tests le font de plus en plus, mais il faut prendre en compte la stratégie adoptée pour la surveillance de l’épidémie. Si elle n’est pas bonne, on ne teste pas les personnes qu’il faudrait tester.
Bien conçue, elle vise à tester tous les cas suspects tels que les définit l’OMS : un patient présentant une maladie respiratoire aiguë (fièvre et toux ou difficultés à respirer) et qui a pu être exposé au virus, notamment par un contact avec un cas confirmé ou probable de Covid-19. Dans les pays aux ressources limitées, nous nous appuyons sur les sites de surveillance de la grippe.
Concrètement comment l’OMS aide ces pays ?
L’OMS a rapidement approvisionné en tests les pays les moins riches. Ils sont arrivés en Afrique avant les premiers cas. Le continent africain dispose de deux laboratoires de référence : l’Institut Pasteur de Dakar et les Centres africains de contrôle et de prévention des maladies (Africa CDC), basés à Addis-Abeba. Des séances de formation à la pratique des tests de diagnostic du SARS-CoV-2 ont eu lieu à l’Institut Pasteur de Dakar et en Afrique du Sud. Une plateforme des Nations unies a été mise en place par l’OMS avec le soutien logistique du Programme alimentaire mondial (PAM) et la coopération avec la Banque mondiale, le Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, ainsi que l’Unicef et l’alliance pour les vaccins Gavi. Elle est destinée à faciliter l’approvisionnement en tests de dépistage, en masques et autres équipements de protection individuelle. Les pays ont évalué leurs besoins à partir de leur plan de riposte au Covid-19 et l’OMS sécurise les quantités de matériel et les distribue équitablement.
L’OMS avait été sévèrement jugée pour sa gestion de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest en 2014. Elle est encore critiquée dans la riposte au Covid-19. N’a-t-elle pas un problème dans sa gestion des urgences ?
Lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest, le département des urgences à l’OMS disposait de ressources très limitées. Il n’avait pas l’ambition d’un travail opérationnel, mais plutôt de fournir des conseils aux pays. Lorsque j’ai rejoint ce département en 2015, le bureau régional Afrique avait à peine une dizaine de personnes dédiées aux urgences pour 47 pays. L’OMS ne possédait pas les capacités nécessaires pour faire face à cette épidémie d’Ebola. Une réforme est intervenue en 2016. Le bureau régional Afrique compte à présent un effectif d’une centaine de personnes formées pour les urgences.
Outre ces ressources humaines, il a également développé des capacités d’expertise, de détection du risque et d’analyse de l’information. Grâce à un fonds de contingence, l’OMS est capable de positionner en vingt-quatre à quarante-huit heures des équipes dans les endroits les plus reculés d’Afrique ou d’Asie. Nous allons continuer à investir ce terrain, en collaboration avec l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) afin de surveiller les risques émanant du milieu animal ou découlant de la déforestation.
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