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Violences en Guinée : la diaspora réagit

En plus de son inquiétude vis-à-vis de la menace du Covid-19, la diaspora guinéenne est consternée par la situation politique qui prévaut actuellement.

Ces dernières heures, Ibrahima Sory Makanera les a passées à lire et relire le statut de Rome, qui fonde la Cour pénale internationale (CPI). Pour ce juriste de formation, résident depuis trente ans d’Île-de-France, les violences postélectorales en Guinée pourraient bien constituer des crimes de génocide et justifier l’ouverture d’une enquête préliminaire par cette juridiction. Depuis le double scrutin (élections législatives et référendum sur la nouvelle Constitution) du 22 mars, boycotté par l’opposition, 119 personnes seraient mortes, selon un bilan provisoire établi par le FNDC (Front national de défense de la Constitution), mouvement citoyen né il y a près d’un an.

« Les communautés peules d’un côté et guerzées (issues de la région forestière) de l’autre ont été particulièrement visées. Mais ce bilan catastrophique était prévisible. Lors d’une tournée en Haute-Guinée (fief du parti au pouvoir, à dominante malinkée), le président Alpha Condé a déclaré à Faranah : « Celui qui veut saccager les urnes, frappez-le. » On a également vu une milice de donzos, les chasseurs traditionnels postés à Nzérékoré (capitale de la région forestière), où, selon certaines de mes sources, il y aurait jusqu’à 130 morts, en majorité chez les Guerzés », affirme Ibrahima Sory Makanera, fondateur du Collectif contre l’impunité en Guinée et du site d’info Le Guépard, où il détaille les éléments de nature à caractériser le chef d’inculpation de génocide.

« Un scénario à la Yahya Jammeh »

Ibrahima Sory Makanera fait partie des Guinéens de la diaspora qui ont battu le pavé en France pour protester contre un éventuel troisième mandat du président Alpha Condé, élu en 2010 et réélu en 2015. La première de leurs manifestations a été organisée le 21 avril 2019 place de la Bastille, sous la bannière des Forces vives, une coalition d’acteurs politiques et de la société civile. Rebaptisée Forces vives-FNDC, en harmonie avec l’émergence du FNDC en Guinée et à l’étranger, cette formation est coordonnée par la Franco-Guinéenne Marie-Madeleine Dioubaté. Ex-candidate à la présidentielle de 2015, la patronne du Congrès populaire africain, un parti politique que l’État refuse de reconnaître, dit avoir, elle aussi, « craint un génocide en Guinée » lors de l’annonce, le 4 février, du couplage des législatives à un référendum sur une nouvelle Constitution. Elle alerte alors la Cedeao « pour qu’elle ne vienne pas éteindre le feu quand il est déjà trop tard ».

« Nous prônons le dialogue, mais il faut reconnaître qu’il est rompu depuis des mois avec le pouvoir. Nous sommes face à un mur. Et il ne s’agit pas que de l’opposition. Plusieurs présidents de la sous-région sont venus en Guinée, ainsi que l’Organisation internationale de la francophonie. Mais, à chaque fois, les négociations ont échoué. Aujourd’hui, j’ai écrit au ministère français des Affaires étrangères, car je sais que la France est préoccupée par le recours à la violence. Ce qui s’est passé à Nzérékoré est très inquiétant. Il ne s’agit pas uniquement de troubles liés à des élections. Les populations de la région forestière sont souvent attaquées, en vue selon moi de les chasser et d’attribuer leurs terres aux exploitants miniers (la zone est très riche en fer, NDLR.). Le recours à la communauté internationale reste donc la seule voie possible à mes yeux. Et nous devons réfléchir à saisir les Nations unies, et envisager un scénario à la Yahya Jammeh (ex-dirigeant gambien exilé sous la pression des forces de la Cedeao et dans le cadre d’un accord négocié par l’ONU, l’Union africaine et la Cedeao, NDLR.). Il faut demander au président de partir, et aller vers une transition inclusive », explique-t-elle.

Destituer Alpha Condé ? La mesure, radicale, se justifie selon cette opposante par l’urgence des mesures à mettre en œuvre pour faire face à l’épidémie de coronavirus en Guinée. « Au lieu de débloquer des fonds d’urgence pour permettre à une population très pauvre, qui a besoin de sortir pour se nourrir, d’avoir accès à des denrées alimentaires de façon à mieux respecter l’isolement, ce gouvernement organise des élections », déplore-t-elle. Samedi 28 mars, l’Agence nationale de sécurité sanitaire a déclaré avoir détecté sept nouveaux cas de malades du Covid-19 (soit 14 en tout en Guinée). Elle a également souligné que 300 personnes, potentiellement contaminées, n’étaient plus localisables.

« Retour en arrière »

« J’ai le sentiment d’un retour en arrière », commente de son côté, navré, Abou Katty, président de l’Actog (Association des cadres et techniciens d’origine guinéenne en France), créée en 1986. Apolitique, ce chercheur en sciences physiques au CNRS a suivi, comme de nombreux Guinéens de France, l’annonce ce vendredi 27 mars de la victoire du « oui » (91,59 % des voix) à l’issue du référendum constitutionnel. Le nouveau texte fondamental permet notamment de faire sauter le verrou de la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs de l’actuelle constitution et de remettre les compteurs à zéro si le président Alpha Condé décide briguer un nouveau mandat en octobre. De quoi doucher tout espoir d’alternance démocratique. Et paisible. « On n’arrive pas à sortir de ce cycle qui nous entraîne à chaque fois dans la violence. C’est à se demander si nos politiques, quelle que soit leur étiquette, sont habités par un amour sincère du pays. Pour l’instant, je ne vois pas d’issue. Alpha Condé ne semble pas prêt à changer d’optique. Peut-être que la crise sanitaire va permettre de prendre conscience que le pouvoir n’est pas au service de l’intérêt personnel mais du bien-être des Guinéens ? » s’interroge-t-il. Et d’appeler « tous les cadres » à se réunir et à réfléchir à l’avenir de la Guinée.

Appel à la transition

Eux exigent « la mise en place d’une transition inclusive pour répondre aux urgences sanitaires et socio-économiques et préparer les échéances électorales de façon transparente et participative ». Baptisé Collectif pour une transition en Guinée, un regroupement de personnalités hétéroclites vient de sortir du bois, après une semaine meurtrière en Guinée. « On suivait la situation mais on ne savait pas si le président Alpha Condé irait jusqu’au bout. Aujourd’hui, il y a trop de crimes et trop de silence », résume le porte-parole du collectif, Ibrahim Sorel Keïta, dirigeant associatif. Parmi les signataires du communiqué, plus d’une cinquantaine de personnes issues de la diaspora guinéenne en France, mais pas que. Figurent aussi le chanteur Tiken Jah Fakoly, les animateurs radio-TV Claudy Siar et Amobe Mevegue, le président de SOS racisme Dominique Sopo, les avocats français Patrick Klugman et Dominique Tricaud. Ou encore Pierre Henry, président de France Fraternité, une organisation d’éducation populaire. « Notre voix s’ajoute à celle de la communauté internationale qui a largement condamné le maintien du double scrutin et l’entêtement du président de la République qui, à 82 ans, se donne la possibilité de renouveler son mandat dans des conditions iniques. Le climat de violences récurrentes a poussé de nombreuses ressources humaines à fuir le pays ces dernières années. Il faut trouver une solution si on ne veut pas que la Guinée s’enfonce davantage dans une crise dont on ne connaît pas l’issue », précise-t-il.

« Depuis le mois d’octobre, et les décès liés aux manifestations du FNDC s’opposant à un éventuel 3e mandat d’Alpha Condé, nous recevions beaucoup d’appels de personnes désireuses d’agir. Nous nous sommes rassemblés. Pour l’instant, nous travaillons sur des actions de plaidoyer, et nous avons aussi mis en place un volet juridique », ajoute Ibrahim Sorel Keïta. Autre signataire, Kalil Aïssata Keïta, enseignant-chercheur en droit à l’université de Rouen, soucieux d’apporter « sa pierre à l’édifice ». Notamment en apportant son expertise à propos du « vide juridique » engendré par ce double scrutin : la Constitution de 2010, désormais dépassée pour le pouvoir en place, et la nouvelle Constitution, non reconnue par l’opposition et la société civile.

« En tant que membres de la diaspora guinéenne, nous ne sommes pas forcément les bienvenus en Guinée, où on nous reproche souvent d’être arrogants ou de viser le pouvoir. Mais, face à la crise politique que traverse notre pays, il faut prendre ses responsabilités. Notre démarche est exempte de toute connotation partisane. Il s’agit pour nous de faire preuve de rigueur intellectuelle, d’adopter une démarche endogène et indépendante, de ne pas nous laisser emporter par les clivages politico-ethniques et la mauvaise gouvernance. Les personnes compétentes et ayant le sens du service public se trouvent de chaque côté », conclut-il.

Par Agnès Faivre/Lepoint.fr

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