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Guinée : entre départ des patrons étrangers et décisions judicaires « opaques », les banques trinquent

(Crédits : DR)

Obligation de nommer des Guinéens à la tête des établissements de crédit, des banques qui deviennent créanciers de leurs débiteurs sur décision de justice…, les acteurs du secteur sont partagés entre la révision de leur stratégie managériale et les craintes pour l’avenir, nourries par les récentes décisions de justice qui ont plongé les banques en juillet dans la plus longue grève de leur histoire.

A Conakry, les étrangers directeurs généraux de banques quittent le pays l’un après l’autre. En cause : la Banque centrale de Guinée ne leur délivre plus l’agrément qui autorise l’exercice de leurs fonctions. A ce jour, trois banques sont concernées : la Banque populaire Maroco Guinéenne (BPMG) où le Marocain Mostafa Dafir a dû céder son fauteuil début juin à Ibrahima Kourama qui était jusque-là son adjoint. Chez United Bank for Africa (UBA) dont le nouveau capitaine nigérian -nommé par Tony Elumelu en juillet dans le cadre d’un vaste remaniement au sein de son groupe bancaire panafricain- n’a pas obtenu d’agrément. C’est Antoine Cherif, DGA depuis 2018 qui prend la place du chef. A la Banque islamique de Guinée (BIG), le Sénégalais Sidi Dieye va lui aussi quitter le territoire, mais avant -selon nos informations- il cherche activement son successeur avec l’appui du conseil d’administration. Le patron d’Access Bank pourrait être le prochain sur la liste, d’après une source bien introduite, puisque « son agrément devrait bientôt expirer et il se dit déjà que ce ne sera pas renouvelé ».

Il est à noter qu’excepté le Marocain, tous ces directeurs généraux sont issus de la CEDEAO, présentée habituellement comme une réussite en matière d’intégration sous-régionale en Afrique. Si l’une des banques concernées nous assure que « rien n’a changé, tout va bien pour les activités », d’autres estiment la décision « dérangeante stratégiquement parlant ». « C’est vraiment du jamais-vu ! », s’exclame un banquier. « C’est un problème pour les groupes bancaires, poursuit-il. On entend même dire que certains opérateurs n’écartent pas l’idée de quitter le marché ».

Appliquer « l’esprit » de l’article 17 de la loi bancaire

La Banque centrale justifie le non-renouvellement de l’agrément des directeurs généraux de banques par « l’application stricte » de la loi d’août 2013 portant réglementation bancaire. En effet, l’article 17 stipule : « sauf dérogation expresse accordée par le Comité des agréments, nul ne peut diriger ou gérer un établissement de crédit s’il n’a pas la nationalité guinéenne, à moins qu’il ne jouisse de dispositions légales ou réglementaires accordant la réciprocité, dans le cadre d’une convention signée entre son État d’origine et la République de Guinée ».

« Jusque-là la dérogation était appliquée sans problème aux banques qui en faisaient la demande », remarque une source bancaire. Mais qu’est-ce-qui a donc changé ? Pour quelles raisons la dérogation n’est-elle plus appliquée ? Contactée par LTA, la Banque centrale estime que le non-renouvellement de l’agrément des directeurs n’est que « le résultat d’une décision des autorités de faire appliquer l’esprit de l’article 17 de la loi bancaire ». Se refusant à tout commentaire supplémentaire, le régulateur estime que le sujet ne devrait pas faire débat.

« Pourquoi pas en Guinée ? »

Selon une source bien informée, la Banque centrale essaierait d’éviter la polémique autour de l’actualité bancaire, au moment où le pays attire déjà les projecteurs en raison de sa situation socio-politique. « Il faut comprendre qu’une dérogation est exceptionnelle et est accordée sur la base de certains éléments ou du jugement de l’autorité. Jusqu’ici la plupart des banques étaient dirigées par des étrangers. Les autorités veulent simplement appliquer la loi qui donne la priorité aux Guinéens, vu que ce ne sont pas les compétences qui manquent. Cela se fait partout ailleurs dans la sous-région. Quand on va en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou au Nigeria, ce sont généralement des Ivoiriens, des Sénégalais et des Nigérians qui dirigent les banques. Pourquoi ce ne peut être le cas en Guinée ? ». D’après cette source, la réalité serait aussi que parfois les groupes étrangers ne chercheraient pas forcément à donner la priorité à l’expertise locale. « Très souvent le premier rôle est d’office réservé à un étranger. Cette tendance n’est certainement pas plaisante pour des Guinéens qui sont compétents mais à qui on ne regarde pas souvent pour x ou y raisons », argue-t-elle, avant d’ajouter : « je pense que la décision des autorités est beaucoup plus dérangeante pour les banques qui n’avaient pas l’intention de donner le premier rôle à un Guinéen ».

L’intégration ouest-africaine et panafricaine remise en question ?

Si les groupes bancaires présents dans le pays sont en train de se plier à la décision des autorités, le sujet alimente les conversations au sein du secteur. « On applique strictement la loi certes, mais je pense que les choses devraient évoluer. Nous sommes quand même dans un cadre communautaire et je pense qu’aujourd’hui, avoir accès à la compétence est une excellente chose. Qu’ils soient Guinéens ou de toute autre nationalité, les gens doivent pouvoir apporter leur expérience », explique un banquier de la sous-région.

N’est-ce pas finalement contradictoire non seulement avec l’intégration sous-régionale ouest-africaine tant exaltée et l’intégration africaine voulue au travers notamment de la Zone de libre-échange continentale (Zlecaf) ou encore la notion de mobilité des talents mise en avant ces dernières années comme facteur catalyseur de développement économique et social ? « Au niveau des groupes bancaires dans la sous-région (Sénégal, Côte d’Ivoire, Togo, Burkina Faso, Niger …) il y a beaucoup d’expatriés qui dirigent les banques et qui sont de plus en plus issus de la sous-région ouest-africaine. Et aujourd’hui ce qui compte vraiment pour les groupes bancaires, c’est l’expertise, l’éthique. Et c’est ce qu’on apporte finalement à une économie. Il y a bien des Guinéens qui dirigent des banques dans d’autres pays, qui sont dirigeants au sein d’organisations internationales. Je pense qu’en tant qu’Africain, panafricain, il faudra favoriser cet échange d’expertises », confie le banquier.

Quand la justice déboute les banques

Outre cette réalité qui touche le management des banques en Guinée, le secteur reste suspendu aux dossiers judiciaires dans lesquelles deux banques -Ecobank et Afriland First Bank- ont été récemment condamnées, provoquant la plus longue grève des établissements de crédit dans le pays. Pendant une semaine, les agences sont restées fermées. Si un compromis a été trouvé pour mettre fin à la grève face à des consommateurs remontés, « le problème de fond n’est pas résolu », indique une source. « Imaginez qu’une entreprise va à la banque, prend un million et ne rembourse pas. Lorsque la banque lance les actions de recouvrement, l’entreprise va porter plainte. Ensuite, le tribunal demande à la banque de lui verser trois quatre ou cinq millions. La situation se retourne et le débiteur devient le créancier », caricature-t-elle, ajoutant : « tel est le problème pointé du doigt ».

Au sein de la profession, on parle de « décision incompréhensible » et certains avancent des pistes de solutions. « Il faudra à l’avenir renforcer le partenariat entre la banque et la justice pour mieux expliquer les rouages bancaires et faire en sorte que tous les mécanismes juridiques puissent fonctionner, car il n’est pas normal que le débiteur se retrouve créancier », explique un banquier rappelant que de telles situations sont déjà arrivés dans d’autres pays, mais « on le voit de moins en moins grâce à la sensibilisation. Les gens ont compris que certes la banque est une structure privée, cependant nous ne gérons pas notre argent, mais l’épargne des particuliers que nous préservons. En réalité, ce genre de décision de justice prive in finé le particulier de sa richesse ».

Du côté de la Banque centrale, on rassure quant à l’engagement du régulateur à défendre à la fois l’intérêt des consommateurs et celui des banques, tout en ne manquant pas de porter les situations de ce genre auprès du gouvernement pour discussion avec le ministère de la Justice.

Avec 17 banques commerciales parmi 21 établissements de crédit, le secteur bancaire guinéen est un maillon essentiel de l’économie. Même en 2020, année économiquement catastrophique pour la planète, les banques en Guinée ont affiché un résultat net cumulé de 908 milliards de Francs guinéens -soit plus de 100 millions de dollars, en hausse de 45,2% en glissement annuel, selon les données de la Banque centrale. Et si les banques sont soulagées en ce moment suite à la hausse du dollar qui mitige les effets de l’inflation dans le pays, elles restent expectatives de ce que leur réserve l’avenir sur ce marché ouest-africaine.

Latribune.fr/ Par Ristel Tchounand

Ristel Tchounand
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